mardi 10 octobre 2017

Indiens d'Amérique du Nord (North American Indians) Part 2




Cet article fait suite au précédent où j’introduisais l’œuvre photographique incroyable d’Edward Sheriff Curtis par l’intermédiaire de quelques uns de mes dessins. En effet, sensible à l’Histoire dramatique qui s’est abattue sur le peuple indien d’Amérique du Nord, j’ai voulu rendre hommage à quelques personnes en particulier grâce au travail colossal d’Edward S. Curtis. Un homme d’une énergie incroyable qui a suivi ses intuitions et perçu la tragédie de l’Histoire qui allait anéantir une civilisation tel un tsunami ravageant tout sur son passage.
Dans sa biographie intitulée L’attrapeur d’ombres Timothy Egan nous précise que Curtis n’était pas un militant, ne faisait pas de politique mais voulait juste faire des photos d’indiens : « Le jeune Curtis perçoit l’importance de ce monde voué à disparaître : il comprend soudain qu’en saississant ses dernières heures, il obtiendra un document précieux et durable. » (p. 35)

PRINCESSE ANGELINE

Princesse Angeline
Lorsqu’il rencontre Princesse Angeline, fille du chef indien Seattle, c’est la révélation ; elle symbolise tous ses sentiments du moment liés au peuple indien. A l’époque où il la rencontre, elle est agée et est connue de bien des gens. Elle vit dans une cabane misérable et ne souhaite pas en changer. On dit qu’elle est la dernière survivante indienne de Seattle. Elle a du caractère et se défend contre les enfants qui l’importunent : elle garde des cailloux dans sa poche pour se défendre. Curtis parvient à l’emmener dans son studio de photos pour un portrait en échange d’un dollar... quelques mois avant sa mort. Timothy Egan précise : « Des nombreuses prises et de l’alchimie du développement émerge un visage aux yeux plissés capables de vous transpercer. Une touffe de cheveux argentés dépasse de son foulard. Les lignes du visage sont si profondes, si marquées, qu’elles évoquent les cicatrices d’un combat au couteau, comme si elles avaient été sculptées. Les coins de la bouche sont affaissés. Curtis éclaire suffisamment les pommettes et le nez pour faire ressortir les yeux tristes et sombres, comme tournés vers une autre époque […] Dans le coin inférieur de la photo pointe le pommeau de la canne d’Angeline. Il faut manquer d’humanité pour ne pas voir l’humanité de ce visage. » (p. 32) Elle décèdera dans sa cabane le 31 mai 1896 et fera la une du journal du matin de la ville, le Seattle Post-Intelligence avec un croquis semblable à la photo prise par Curtis et cette phrase « Angeline n’est plus/La vieille princesse indienne/Accède au monde des esprits » On lui fait honneur, on l’enterre au cimetière, on lui dresse une pierre tombale avec un poème court « Ici repose Angeline. Reine indienne. Vieille, sage et ridée » et une rue reçoit son nom. Le décès de Angeline est le signe pour Curtis d’un événement beaucoup plus ample qu’il faut saisir au plus vite : « Pour Curtis, Angeline marque le début de l’odyssée photographique la plus vaste, la plus complète et la plus ambitieuse de l’histoire américaine. » Avant son décès, elle lui confie qu’il existe des indiens qui essaient de vivre discrètement aux abords de la ville. Il garde en mémoire cette information, part les rencontrer et d’indiens en indiens, il accumulera des photos prises en extérieur démontrant leur vite quotidienne. Il a la personnalité qui convient pour approcher les Indiens. Il n’est pas offensif, il s’explique auprès d’eux et ils finissent par lui faire confiance. La relation passe bien, il sait se faire accepter tel un ethnologue désirant observer une tribu...




CHEF JOSEPH (1840-1904)

Chef Joseph
En 1903, chef Joseph est présenté à Curtis grâce à Edmond S. Meany, professeur d’histoire de l’université de l’Etat de Washington, fasciné par le monde indien. Voilà sept ans que Princesse Angeline est morte et l’arrivée d’un Indien dans la grande ville de Seattle est un événement pour la presse. T. Egan écrit : « Et le vieux chef trouve une oreille attentive en Curtis. Ils ont la même taille, plus d’un mètre quatre-vingts, malgré les trente années qui les séparent. Curtis interroge Joseph sur sa coiffure : une frange ramenée en arrière, qui s’élève bien au-dessus du front, et de longues nattes qui retombent sur sa poitrine. Chez les Nez-Percés, répond-il, quiconque a beaucoup combattu, ou scalpé un homme vivant, est autorisé à arborer ces marques de fierté et d’ostentation. » (p. 90) Chef Joseph, après des hésitations, finira par accepter d’être pris en photo par Curtis. Curtis perçoit de la lassitude chez le chef indien dûe à toutes ses dernières années de fatigue, d’exil dans une réserve (Etat de Washington) loin de sa région natale (des monts Wallona), de batailles administratives perdues, de contrariétés… « Le Chef semble usé, plus vieux que son âge, sombre, et le photographe a le sentiment qu’il n’y a plus beaucoup de vie en lui. […] Un second portrait le présente sans coiffe, révélant sa frange surélevée. La lumière est moins diaphane, plus dure, les yeux sont intenses et les sourcils, toujours froncés, évoquent une certaine empathie. La photo révèle encore mieux la topographie du visage extraordinaire de Joseph : cicatrices et entailles, lignes saillantes formées par un chagrin tenace. Il porte deux boucles d’oreilles en coquillages, chacune plus grosse qu’une pièce de un dollar. Cette photogravure, également baptisée Joseph – Nez Percé, a de multiples dimensions et transmet de multiples émotions : ce regard, ces yeux, ces cheveux, cette bouche. Elle est sans merci, sans artifice mais pleine de vie, bien que la fin du chef soit proche. » (p. 94-95)


Chef Joseph décèdera le 21 septembre 1904. Dans un courrier Curtis fait part de ses sentiments : « Eh bien, notre vieil ami Chef Joseph s’est éteint, écrit Curtis à Meany quelques semaines plus tard. Son interminable combat pour retourner sur la terre de ses ancêtres a pris fin. Pour une raison étrange, la vie et la mort du vieil homme m’inspirent plutôt un sentiment de tristesse. » (p. 95-96) Suite aux réactions de son décès, Curtis écrira : « […] je persiste à croire qu’il était l’un des plus grands hommes qui aient jamais vécu. » (p. 96) Un bel hommage rendu à un homme dont la voix n’a pas été entendue dans ce qu’elle avait de plus important à dire pour la survie de son peuple… L’époque faisait aussi que la curiosité des gens était manifestement portée par une vision « exotique » de l’Indien dans la ville sur des sujets qui n’avaient guère d’importance pour les Indiens d’où des réponses dites trop brèves ou inconsistantes aux yeux des autres. Delà, une certaine déception et un fossé entre deux civilisations bien différentes…  

En 1905, le corps de Chef Joseph est déplacé afin de lui rendre un vrai hommage. Curtis est présent et se charge de la tâche la plus lourde envers son ami : « Le 20 juin 1905, à Nespelem, Washington, Curtis aida à enterrer une deuxième fois son ami Chef Joseph, grand leader des Nez-Percés, avec qui Curtis avait passé beaucoup de temps lors de la préparation du texte pour le volume 8. Joseph était mort au mois de septembre de l’année précédente d’une maladie cardiaque et avait été mis dans une tombe provisoire tandis que la State Historical Society préparait une sépulture adéquate, peut-être pour compenser dans une certaine mesure le mal que lui avaient fait les hommes blancs de son vivant.
Fait de marbre, le monument représentait Joseph et portait son nom indien, Hin-mah – too-yah-lat-kekt, qui signifie « Tonnerre Grondant dans les Montagnes », ainsi que son nom anglais.
Avant les cérémonies, conduites par Edmond S. Meany, professeur d’histoire à l’université de Washington – que Joseph appelait « Trois Couteaux » -, certains préliminaires étaient indispensables. Curtis, qui apparemment avait assisté au premier enterrement, les décrivit quarante-cinq ans plus tard à Melle Leitch.
« Il y a longtemps de cela, écrivit-il, j’ai participé deux fois à l’inhumation du chef. Afin de pouvoir l’enterrer à nouveau, il fallait le sortir de sa tombe. C’est moi qui fis le plus gros du travail. C’était une journée très chaude et les nobles hommes rouges dirent : « Laissez les Blancs creuser la tombe. Ils s’y connaissent. » .» (L’Amérique indienne, de Edward S. Curtis, texte de Florence Curtis Graybill & Victor Boesen, Albin Michel, 1992, page 32)

         
Dessins réalisés à partir des photographies de Edward S. Curtis par Catherine Pulleiro

jeudi 5 octobre 2017

North American Indians (Indiens d'Amérique du Nord) Part 1



 Tous les dessins (sauf Sitting Bull) ont été réalisés à partir des photos d’Edward Sheriff Curtis (1868-1952) présentées dans son livre L’Amérique Indienne publié chez Albin Michel (Terre Indienne) en 1992 et dans le livre The life & Art of the North American Indian de John Anson Warner publié chez Hamlyn en 1975. Il est possible de découvrir  Edward Curtis à travers sa biographie intitulée L’attrapeur d’ombres – La vie épique d’Edward S. Curtis écrite par Timothy Egan. Puis, en anglais (américain), n’oublions pas l’imposante œuvre en 12 volumes d’Edward S. Curtis, North American Indians, Norwood Mass, 1922. Et si vous allez aux Etats-Unis, vous pourrez découvrir ses photographies dans des expositions qui lui font encore honneur…

Gouverneur de San Juan, Pueblo
Si l’on veut suivre la vie d’un indien, on peut lire l’autobiographie passionnante de John Fire Lame Deer « En quête d’une Vision », De mémoire indienne, publiée en format Pocket en 2009, on y découvre pleins de détails sur son parcours, sa pensée, son peuple, ses joies, ses peines, ses déboires etc.
Synopsis du livre – « Né dans une réserve du Dakota au début du XXe siècle, Tahca Ushte, alias John Fire Lame Deer, a vécu mille vies. Tour à tour clown de rodéo, soldat, peintre, berger, chanteur, il est avant tout un homme-médecine. Gardien de la spiritualité et des traditions de son peuple sioux, il livre dans ces mémoires un témoignage empli de sagesse, de sensibilité et d’humour. Un chant de résistance face à la culture imposée par les Wasichus – les Blancs. »


Il y a aussi un petit livre très intéressant intitulé « Pieds nus sur la terre sacrée » qui est un reccueil de textes rassemblés par T.C. McLuhan, éditions Folio sagesses, sorti en 2015. Quelques mots sur l’auteur et le livret : « C’est la découverte de l’œuvre du photographe Edward S. Curtis (1868-1952), The North American Indian, qui conduisit T.C. McLuhan à refaire sur ses traces le périple qui l’avait entraîné d’une tribu indienne à l’autre à travers l’Arizona, le Nouveau-Mexique, la Californie, le nord de la Colombie-Britannique (Canada) et l’Etat de Washington. En parvenant, avec patience, à tisser des relations de confiance avec les nombreuses tribus qu’il avait rencontrées (plus de quatre-vingts), Curtis avait consacré trente ans de sa vie à photographier une civilisation en voie de disparition, rapportant plus de quarante mille clichés. Dans Pieds nus sur la terre sacrée (Denoël, 1974, nouvelle édition en 2011), T.C. McLuhan a poursuivi ce travail en réunissant et en présentant de nombreux textes, accompagnés de photographies de Curtis, appartenant au patrimone écrit ou oral des Indiens d’Amérique du Nord. »

Two Moon, Cheyenne
Le présent volume reprend les deux premières parties de Pieds nus sur la terre sacrée (qui en compte quatre) : « T.C. MacLuhan donne dans le premier volet la parole aux membres de diverses tribus pour évoquer notamment leur existence en harmonie avec leur environnement naturel, considéré comme sacré. Les témoignages réunis dans la seconde partie traitent davantage de la mise en péril du mode de vie ancestral des Indiens d’Amérique du Nord par l’arrivée de l’homme blanc (anéantissement des troupeaux, invasion des terres), entraînant l’affaiblissement et la disparition de l’esprit de leurs peuples. »

Two Moon, Cheyenne
Voici un petit extrait de Chef Luther Standing Bear (Sioux oglala, né en 1868) : « Les vastes plaines ouvertes, les belles collines et les eaux qui serpentent en méandres compliqués n’étaient pas « sauvages » à nos yeux. Seul l’homme blanc trouvait la nature sauvage et pour lui seul la terre était « infestée » d’animaux « sauvages » et de peuplades « sauvages ». A nous, la terre paraissait douce, et nous vivions comblés des bienfaits du Grand Mystère. Elle ne nous devint hostile qu’à l’arrivée de l’homme barbu de l’est qui nous accable, nous et les familles que nous aimons, d’injustices insensées et brutales. C’est quand les animaux de la forêt se mirent à fuir son approche que commença pour nous « l’ouest Sauvage ». »
  

Cree Woman
Owl Old-Woman, Sarsi
A lire également le livre de Héhaka Sapa ou Black Elk (Wapiti Noir) intitulé Les rites secrets des indiens sioux, Petite Bibliothèque Payot, 2004. Héhaka Sapa est bien connu car il est cité dans divers ouvrages notamment celui de T.C. McLuhan où il nous le présente ainsi « Hehaka Sapa ou Black Elk appartenait aux Oglalas, branche des Tétons Dakotas, l’une des plus puissantes de la famille des Sioux. […] Parent du grand chef Crazy Horse, il avait bien connu Sitting Bull et Red Cloud. Il connaissait très bien l’histoire des origines de son peuple, lorsque celui-ci errait dans les plaines, et fut témoin de la bataille de Little Big Horn (1876). […] Black Elk possédait un pouvoir spirituel unique et incontesté ; il avait été instruit dans sa jeunesse des traditions sacrées de son peuple par les grands prêtres. Son père avait été « homme-médecine », ainsi que plusieurs de ses frères. Il vécut ses derniers jours dans la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud) […]. » Serge Bramly dans son livre Terre sacrée, nous raconte que Black Elk a été d’une grande aide pour son peuple lors du massacre de Wounded Knee (1890) : « Le massacre aurait été total sans l’intervention d’un jeune guerrier, Black Elk. Black Elk et une vingtaine de Sioux Oglalas campaient à quelques kilomètres de Wounded Knee. Le tonnerre des Hotchkiss leur parvint, et ils comprirent qu’un drame se déroulait. Une vision avait inspiré à Black Elk la fabrication de chemises de guerre que des peintures sacrées immunisaient contre les balles. Black Elk et ses compagnons endossèrent leurs chemises, et, à cheval, armés d’arcs et de flèches, ils tentèrent une diversion héroïque. Ils permirent à une trentaine de rescapés d’échapper aux soldats. Près de trois cents Sioux, parmi lesquels des femmes, des enfants et des vieillards, trouvèrent la mort à Wounded Knee. »  

Sitting Bull
Tatanka Iyotake, surnom Sitting Bull (Bison-Assis), 1831-1890, né à Grand River, dans le Dakota du Sud., chef des Sioux du Dakota. Adversaire des colons américains dans la conquête de l’Ouest.
Pour John Fire Lame Deer, Sitting Bull était un wicasam wakan (un saint homme) : « Lui peut guérir, prophétiser, parler aux plantes, se faire entendre des pierres, conduire la danse du Soleil et même influencer le temps. Mais pour un tel homme, ce ne sont là que des plans sans importance qu’il a traversés.  Le wicasa wakan se tient au-delà. Il détient la wakanya wowanyanke, la grande vision. Sitting Bull était ainsi. Lorsqu’il a eu sa vision à la danse du Soleil de Medecine Rock, il a vu de nombreux soldats en tuniques bleues s’effondrer et il a entendu une voix lui dire : « Je te les donne parce qu’ils n’ont pas d’oreilles. » Sitting Bull savaient que les Indiens gagneraient la prochaine bataille. Il n’a pas combattu, ni même dirigé les hommes. Il n’a rien fait d’autre que laisser sa sagesse et son pouvoir agir pour son peuple. » 

Sitting Bull
Pour T.C. McLuhan, Sitting Bull était « un guerrier sioux, chef de la tribu des Tétons Hunkpapas et, plus tard, un « rêveur » sacré. Il fut sur le sentier de la guerre presque continuellement entre 1869 et 1876. Les colons blancs affluaient sur les terres des Indiens et la découverte de gisements d’or dans la région des Black Hills fut, pour ces derniers, une catastrophe plus grave encore : en 1875, le gouvernement ordonnait aux Sioux d’abandonner leurs territoires de chasse de Powder River, pays octroyé par le traité de 1868. La guerre fut déclarée en 1876 pour faire appliquer l’ordre du gouvernement. Au conseil de Powder River, en 1877, Sitting Bull exprima son amour pour le sol natal, « un amour purement mystique » devait écrire son biographe. » L’auteur ajoute : « Sitting Bull refusa constamment de se soumettre à la vie de réserve. « Dieu m’a fait Indien, disait-il, pas Indien de réserve. » Après la bataille de Little Big Horn en 1876, il s’enfuit au Canada où il fut autorisé à vivre en paix. »
Pour une biographie de Sitting Bull, lire le livre de Robert Marshall Utley "Sitting Bull - sa vie, son temps" paru chez Albin Michel (Terre indienne) en septembre 1997.

Quand à Crazy Horse, ami de Sitting Bull, il n'a jamais souhaité être pris en photo donc il n'existe pas de portrait de lui. Un jour, il répondit : « Ami, pourquoi veux-tu raccourcir mon existence en m’enlevant mon ombre ? »
Propos relatés par Godfrey Chips (homme-médecine) à John Fire Lame Deer : « Cet homme, Crazy Horse, était avant tout un pacifique, mais à la vue de son peuple massacré, eh bien, il a reçu un pouvoir, alors il a commencé à se battre. C’était un tendre, mais la vie a fait de lui un tueur. La haine était en lui. Il n’a jamais aimé les Blancs et il est mort ainsi. Aussi son esprit m’a dit ne pas vouloir qu’ils élèvent un monument pour touristes en son nom. »

A Cree woman

Drawings Catherine Pulleiro