Pourquoi Monsieur Kokichi Mikimoto ?
Parce qu’il est en soi un véritable modèle de courage, de
ténacité et d’inventivité pour tous ceux qui veulent comprendre
la mentalité japonaise. Il a su, en effet, affronter avec force de
caractère les épreuves de sa vie intime notamment le décès
précoce de sa femme ainsi que les diverses catastrophes économiques
et naturelles qui ont jalonné sa carrière, et malgré des échecs
variés, il a su prendre les décisions qui s’imposaient pour
atteindre sa grande ambition : créer des perles de culture
parfaitement rondes à partir des huîtres. De plus, on notera que sa
personnalité compréhensive et altruiste a favorisé autour de lui
un modèle de société progressiste grâce aux diverses commodités
qu’il désirait offrir à ses nombreux employés.
D’un modeste fabriquant de nouilles,
il deviendra le patron à l’origine de l’énorme entreprise
commerciale autour des perles de culture qui embellira plus tard les
femmes riches du monde entier, les stars, les mannequins… « Si
nous avons une leçon à tirer devant l’histoire de cette vie,
c’est devant cette belle persévérance orientale qu’il faut nous
incliner. Persévérance qui valut à l’heureux mortel un titre
poétique dont les Japonais ont le secret et que nous pouvons
traduire par l’homme qui a ajouté à la
beauté de la femme. » La mise à jour de sa vie nous
permettra donc de cerner encore un peu mieux les traits de caractère
liés à la société japonaise et d’avancer ainsi dans le
rapprochement de deux univers bien différents, la France et le
Japon.
MIKIMOTO ( 御木本)
est né en 1858 dans une période de mutations au Japon. Les shoguns
sont renversés et l’empereur revient au pouvoir en 1867. La
féodalité est abolie. C’est le début de l’époque Meiji et
Mikimoto bénéficiera des bienfaits de cette nouvelle période.
« Dans les années qui suivirent, le commerce avec
l’étranger se développa rapidement. Des inventions de l’Occident,
telles que les chemins de fer, le téléphone, et les rotatives
d’imprimerie furent introduites dans le pays en échange de
l’ouvrage d’un ver capable de transformer les feuilles de mûrier
en soie. L’empereur-enfant et ses suivants, comprenant la futilité
de l’isolement, envoyèrent bientôt leurs gens apprendre les arts
et la culture de l’Occident. Ces émissaires revinrent avec des
notions nouvelles qui permirent la création d’écoles modernes,
d’un nouveau système bancaire, de codes, d’une industrie
moderne, d’une armée et d’une marine puissantes. »
Alors qu’il allait avoir bientôt 20
ans, Kokichi demanda à son père souffrant s’il pouvait partir en
voyage avec un de ses voisins. Son père l’autorisa et il se rendit
à Tokyo puis à Yokohama. « […] il fut fasciné en
pénétrant dans le quartier où les commerçants chinois achetaient
des petites perles, à bon prix. […] Il s’arrêta à l’étalage
d’un vendeur de nacre et passa le doigt sur les surfaces
merveilleusement polies. […] Devant une autre boutique vendant des
coquillages polis, dignes d’un roi, il s’arrêta, pour admirer.
[…] On le revit souvent à Yokohama, au point que vendeurs de
coquillages et acheteurs de perles se fatiguèrent de le voir. »
Son père décéda en 1883. Dès lors,
Kokichi eut la responsabilité des deux boutiques familiales, en plus
de l’affaire qu’il s’efforçait de lancer. Juste avant son
mariage (1881), il fut élu conseiller municipal et se jeta dans les
affaires publiques en tant que représentant de la chambre de
commerce locale. Son parcours le rapprochait à chaque fois un peu
plus près de sa future grande ambition… « Un
peu avant son mariage, il cautionna une exposition de petites perles,
de nacres et de coquillages. Il n’y participa pas directement mais
seulement en qualité de juge, pensant qu’il apprendrait ainsi
davantage. » Il ne cessait d’observer, de réfléchir,
d’expérimenter ceci ou cela autour des perles : « Kokichi
passa la plus grande partie de son temps sur le bord de la mer,
tenant dans la main des petites perles, observant de jeunes huîtres,
ou polissant un morceau de nacre jusqu’à ce qu’il brillât comme
un bijou. »
Mikimoto voulait parvenir à cultiver
des huîtres perlières dans un idéal de perfection. Il fallut
attendre un contexte historique favorable pour que l’activité des
perles évolue : « Comme beaucoup d’autres choses au
Japon, la pêche de la perle ne prit une véritable importance
qu’après que l’empereur Meiji eut libéré cerveaux et bras de
la nation. Jusqu’en 1870, trouver une perle dans une huître était
beaucoup plus le fait du hasard que celui d’une recherche
systématique. Cependant dès le début de la période Meiji, des
pêcheurs entreprenants se mirent à chercher au fond de la mer des
huîtres appelées à donner autre chose que leur
chair. […] Lorsqu’il devint président de l’Association
d’Amélioration des Produits de la Mer de Shima, ces lieux de pêche
avaient été si bien fouillés que l’on songeait sérieusement à
organiser la protection de l’huître. D’un autre côté, le monde
s’enrichissait et la demande de perles croissait sans cesse. Dès
le début, Mikimoto chercha la perfection. Il voyait ses amis vendre
des perles de basse qualité, tachées ou même de petits globules,
gris, trop tôt retirés du ventre de l’huître. Il n’admettait
pas qu’on sacrifiât la beauté à l’avidité. »
En 1887, alors que sa réputation
commençait à se faire, il participa à une exposition nationale des
produits de la mer à Tokyo où il exposait ses perles de culture. Il
obtint le deuxième prix car les perles d’un autre exposant avait
été jugées « légèrement supérieures » aux siennes.
Un jour, alors qu’il déplorait la pêche à tort et à travers des
huîtres sur les côtes de la région, il émit l’idée d’adopter
de nouvelles méthodes d’élevage dans des parcs à huîtres et de
fonder une coopérative. Mikimoto ne réussit cependant à convaincre
qu’un seul village de la valeur de son projet. Cela ne
l’ébranla pas pour autant… « Le 11 septembre 1888, les
villageois commencèrent à récolter les huîtres et à les
concentrer dans des parcs. » Mais, un jour, Mikimoto se
posa la question de la vraie origine des perles. Sa femme lui
répondit alors qu’elle provenaient de la « Providence
divine »… ou qu’elles étaient le résultat d’un
« accident ». Mikimoto maniait cependant chaque jour des
huîtres pour trouver une autre réponse car il était persuadé
qu’on devait pouvoir les semer et les cultiver comme le riz. Un
jour, il alla voir un docteur ès sciences naturelles qui lui dit
qu’à l’origine de la perle il devait y avoir une impureté car
si on ouvrait la perle on pouvait y apercevoir de petites particules
qui n’avaient rien à voir avec de la nacre. Il fallait donc qu’un
corps étranger pénètre dans l’huître.
Fin 1890, Mikimoto tomba malade
d’épuisement. Alité, il se confia à sa mère âgé de 51 ans :
« Je ne sais que faire ni
comment travailler. Je vais à tâtons, dans le noir.
J’ai d’abord essayé d’un bout de verre cassé ou de poterie ;
les huîtres l’ont recraché aussi vite que nous l’insérions.
Puis, nous avons employé des petits morceaux de nacre que nous avons
disposés sur le bord du manteau de l’huître.[…]Nous avons tout
tenté, tout essayé. »
Au village, on le prenait pour un fou
du fait de son acharnement au travail des huîtres et certaines
personnes pensaient reprendre la pêche, activité rentable face aux
multiples doutes engendrés par la culture des perles : « Des
mille huîtres sur lesquelles il avait opéré l’année précédente,
aucune ne montrait la moindre envie de donner une perle. »
Puis, il fit face en 1892 à une catastrophe naturelle appelée
la marée rouge (foisonnement d’animaux microscopiques,
sorte de plancton qui s’attaque en particulier aux mollusques) qui
détruisit toutes ses huîtres soit 4 années de travail (perte de
5.000 huîtres). Il fut obligé de quitter sa famille pour trouver du
travail, et d’apprendre un nouveau métier jusqu’à Hokkaido,
dans une ferme d’Etat. Lorsqu’il rentra à son village, il se fit
discret car il devait de l’argent à ses créanciers. Un
jour d’été, en juillet 1893, c’est-à-dire cinq ans après la
première immersion d’huîtres, il put enfin admirer sa première
perle de culture. Il s’agissait d’une huître dans laquelle on
avait ensemencé une particule de nacre. La perle était
blanche, semi-circulaire. Sa seule déception provenait du fait que
la perle n’était pas ronde. La découverte se répandit :
« La nouvelle courut tout le Japon. Les perles n’étaient
pas rondes mais Mikimoto avait trouvé le moyen d’inciter les
huîtres à fabriquer le joyau de la mer. […]
Mikimoto déposa une demande de brevet pour éviter de se voir
frustré par des concurrents sans scrupules. De vieux amis lui
fournirent les fonds nécessaires. »
Photo : service de presse Mikimoto |
Mikimoto installa alors son quartier
sur l’île inhabitée de Tatoku et réussit une fois de plus à
convaincre les villageois d’abandonner la pêche au profit des
huîtres perlières : « Ils déplacèrent des tonnes de
pierres, d’ardoise et de madriers pour construire les bancs où
dormiraient les huîtres dans leurs casiers de bambou. Ceci fait, ils
durent sillonner la préfecture de Shima dans tous les sens pour
trouver les huîtres. Ils en accumulèrent dix mille. »
Encouragé par son activité florissante, il reçut un brevet :
« le 27 janvier 1896, Kokichi Mikimoto recevait son brevet
concernant la culture des perles demi-rondes, pour dix ans. »
Copyright Catherine Pulleiro Photo : M.W |
Mais le malheur s’abattit sous une
autre forme : sa femme décède à l’âge de 32 ans (Mikimoto
en a 38) et lui laisse cinq enfants : quatre filles (14, 11, 9,
7 ans) et un garçon (2 ans). Mikimoto décida alors de les ramener à
Toba et de les confier à sa mère âgée de 55 ans : « Après
la mort d’Ume, Mikimoto se jeta au travail avec l’énergie
d’Henry Ford. Il voulait avoir un million d’huîtres dans ses
parcs en 1902. Pour cela, il fallait ensemencer 250.000 huîtres par
an. » En février 1898, il fit sa
première récolte et ouvrit un magasin à Tokyo. Sa deuxième
récolte, en avril 1900, lui permit d’obtenir 4.200 perles toutes
demi-rondes mais magnifiques.
Son succès avait même attiré le ministre de l’agriculture sur
l’île de Tatoku. Celle-ci se vit attribuer une nouvelle
appellation « l’Ile des nombreuses
vertus » afin de souligner la reconnaissance de
l’œuvre de Mikimoto et de ses bienfaits envers de nombreuses
personnes. « Avec le développement de la culture des
perles, le pittoresque de l’île de Tatoku s’accrut sensiblement
du fait des plongeuses. » ; « Quand Mikimoto se mit
à produire ses perles de façon régulière, industrielle, la
demande en plongeuses s’accrut. Comprenant leur valeur, Mikimoto
encourageait les filles de la côte à s’entraîner et à instruire
leurs camarades. » ; « Mikimoto a toujours
scrupuleusement veillé à la sécurité des plongeuses, ce qui
explique pourquoi, en dépit des risques inhérents à la profession,
aucune de ses employées ne s’est jamais noyée. »
Copyright Catherine Pulleiro. Photo M.W. |
Mikimoto avait aussi le sens du
commerce et savait attirer les personnes les plus influentes. Il
attira l’homme le plus populaire du Japon, le prince Komatsu, le
premier cousin de l’empereur Meiji qui reconnut derechef le travail
incroyable de l’œuvre Mikimoto. C’est par l’intermédiaire du
prince que les perles de Mikimoto arrivèrent en Angleterre, pour le
couronnement du roi Edouard VII : « Komatsu les confia
à des joailliers parisiens qui en firent des bijoux destinés à la
famille royale d’Angleterre. Les journaux de Londres et de Paris
parlèrent beaucoup des nouvelles perles demi-rondes du Japon. La
visite de Komatsu attira l’attention de l’Europe sur les perles
de culture. »
Il profita également de la cinquième
exposition industrielle nationale à Osaka pour exposer ses perles.
Puis, il exposa aussi à l’étranger afin d’intéresser des
acheteurs. En 1904, le premier correspondant du New York Herald
visita l’île des perles. Mais en janvier 1905, la marée rouge
vint pour la troisième fois ruiner son travail (850.000 huîtres
mortes) et ses essais pour obtenir une perle parfaitement ronde. Ne
voulant pas céder au désespoir, il ouvrit, une à une, une quantité
incroyable d’huîtres pour constater de l’évolution des perles
lorsqu’il tomba enfin sur une perle bien ronde :
« Ce n’était pas un hasard, un accident… Une fois
encore, il avait transformé la défaite en victoire – la plus
grande victoire de sa vie. »
En 1908, un courant glacé faillit
ruiner à nouveau son travail et en 1911, une invasion de pieuvres se
jeta sur les mollusques pour les dévorer. Mikimoto fit face à ses
épreuves. Mais il ne perdit jamais courage et comme il l’avait
annoncé en privée à l’empereur, il
voulait monter une grande industrie des perles de culture pour
répondre aux besoins du monde entier. Ainsi, il porta le
nombre de ses employés et ouvriers à plus de mille personnes sur
l’île. Il leur offrit de nombreuses facilités matérielles afin
qu’ils aient une vie agréable et leur salaire était convenable en
comparaison d’autres entreprises. Il fit construire des
bâtiments utiles à tous : « Mikimoto a établi des
écoles, un bureau de poste et d’autres organisations communes… »
Il fut aussi un bon conseiller pour
ses employés : « Il veille aussi à encourager
l’épargne, recommande à ses ouvriers de prendre des fonds d’Etat,
et donne l’exemple. » Et il attira des professionnels
autour de son activité : « Des charpentiers, des
plâtriers et un forgeron vinrent s’installer dans l’île. Un
dentiste y exerça sa profession et, en cas d’accident, administre
les premiers soins, en attendant l’arrivée du médecin. » Il
entrera dans la postérité en 1954 à l’âge de 96 ans.
Photo : service de presse Mikimoto |
cf. « Mikimoto, le roi des
perles », Robert Eunson, Editions Pierre Horay, Paris 1957.
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