Claude Lévi-Strauss (1908-2009), savant, fondateur de l’Anthropologie
structurale, Académicien…
Dans le documentaire vidéo Claude Lévi-Strauss par
lui-même (1h30 env.), l’ethnologue répond aux questions de Bernard Pivot en
ce qui concerne la signification de l’ethnologie et le lien existant entre les
ethnologues et l’écologie.
A quoi sert l’Ethnologie en général ?
« C’est une des nombreuses manières d’essayer de
comprendre l’Homme. Si on veut comprendre l’Homme, on peut à la manière du
philosophe se replier sur soi-même et essayer d’approfondir les données de la
conscience. On peut essayer de regarder ce qui dans les manifestations de la
vie humaine est le plus proche de nous, considérer notre Histoire depuis ses
origines gréco-romaines jusqu’aux temps modernes ou bien on peut essayer
d’élargir la connaissance de l’Homme pour y inclure même les sociétés les plus
lointaines (et qui nous paraissent les plus humbles et les plus misérables) de
manière à ce que rien d’humain ne nous reste étranger. »
« Je pense que c’est vrai. Et c’est vrai parce qu’ils
sont à l’école de peuples qui eux-même sont des écologistes qui ont réussi au
prix de toutes sortes de pratiques (que nous jugeons supersticieuses et avec un
peu de dédain) à se maintenir en équilibre avec le milieu naturel. Vous savez,
quand parmi ces peuples d’Amérique du Sud et également du Nord, il existe des
croyances en un Maître des animaux qui veille jalousement sur les procédés de
chasse et dont on sait qu’il enverra des châtiments surnaturels à celui ou à
ceux qui tueraient plus qu’il n’est strictement nécessaire… quand pour cueillir
la moindre plante médicinale, il est nécessaire de faire d’abord des offrandes
à l’esprit de cette plante… Et bien,
tout ça oblige à entretenir avec
la Nature des rapports mesurés.
Et certains peuples ont même la croyance que le capital de
vie qui est à la disposition des êtres ne fait qu’une masse. Et par conséquent,
chaque fois qu’on en prend trop dans une espèce, on doit le payer au dépend de
la sienne propre. Et bien, tout cela bien-sûr frappe l’ethnologue et lui montre
à quel point une façon, je dirais, censée pour l’Homme de vivre et de se
conduire est de se considérer (non pas comme nous l’avons fait depuis l’Ancien
Testament et le Nouveau, et depuis la Renaissance aussi) comme le Seigneur et
les Maîtres de la Création mais comme une partie de cette Création que nous
devons respecter puisque ce que nous détruisons ne sera jamais remplacé et que,
nous devons transmettre tel que nous l’avons reçu à nos descendants. Ca, c’est
une grande leçon ! Je dirais même que c’est la plus grande leçon que
l’ethnologue peut tirer de son métier. »
La carrière de Claude Lévi-Strauss s’est joué un dimanche de
l’automne 1934 à 9h du matin lorsqu’il reçoit un appel téléphonique lui
demandant s’il avait toujours envie de faire de l’ethnographie et si c’était
bien le cas, d’envoyer sa candidature comme Professeur de Sociologie à
l’Université de San Paolo au Brésil. On lui précise alors que les faubourgs de
la ville étaient remplis d’Indiens et qu’il aurait le temps de leur consacrer
ses week-ends. C’est plus tard, dans ses années à New-York, notamment à la
New-York Public Library où il lit un nombre considérable d’ouvrages sur la
formation d’ethnologue.
C’est donc auprès des peuples indiens d’Amazonie qu’il fait
ses premières expériences de terrain que l’on situe entre 1935 et 1939. Voir le
documentaire de 45 mn A propos de Tristes tropiques ( avec des archives
cinématographiques et photographiques ainsi que des extraits lus de Tristes
tropiques), qui lui est dédié. Voici quelques éléments d’observation qu’il
a pu noter sur trois groupes d’Indiens du Mato Grosso.
Parmi les Caduvéo : « Les Indiens étaient ivres
morts la plupart du temps et conservaient un Art d’un raffinement et d’une
subtilité extraordinaire. Je pense que cela a été un des mobiles déterminants
de ma réflexion sur tout ce que j’ai écrit par la suite sur les Arts des
peuples dits primitifs en général et sur les Arts de notre propre
société. »
Parmi les Bororo : « […] C’est un système
religieux qui est probablement un des plus compliqués qu’on connaisse dans
l’ensemble de l’Humanité par un panthéon qui comprend toutes sortes de dieux,
un rituel tellement riche… »
Parmi les Nambikwara : « On y trouve
l’essence même de la vie sociale réduite à sa plus simple expression. Ils
dorment par terre et nus. Ils se réchauffent en se serrant les uns contre les
autres ou se rapprochent des feux de camps qui s’éteignent. Couchés à même la
terre qui s’étend alentour, les époux étroitement enlacés se perçoivent comme
étant l’un pour l’autre le soutien, le réconfort, l’unique secours contre les
difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui de temps à autre envahit
l’âme Nambikwaras. On devine chez tous, une immense gentillesse, une profonde
insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale et rassemblent ces
sentiments divers, quelque chose comme l’expression la plus émouvante et la
plus véridique de la tendresse humaine. »
Les Ethnologues photographient, filment voire dessinent, ce
n’est pas rare… La documentation imagée est une aide précieuse pour
l’ethnologue : elle vient éclairer le texte rendu parfois trop ardu par
des traditions trop éloignées des notre ou des représentations figuratives
difficilement traduisibles à l’écrit.
Les Indiens d’Amérique du Sud et du Nord ont suscité et
suscitent toujours beaucoup d’intérêt. Dans des articles précédents, j’avais
déjà présenté Edward Sheriff Curtis. Je me dois de le réintroduire ici suite à
la découverte des œuvres artistiques de Donni Buffalo Dog qui s’est inspirée du
travail du photographe.
Edward Sheriff Curtis (1868-1952),
photographe des Indiens :
« Au début du siècle, Edward Sheriff Curtis entreprend
de photographier les Indiens d’Amérique du Nord afin d’immortaliser ce qui peut
être sauvé de ces cultures sur le point de disparaître, dans leur forme
originelle.
Comment cette œuvre monumentale (40 000 clichés) est-elle
née dans l’esprit de son créateur et comment l’a-t-il menée à bien ? Tel
est le sujet de ce magnifique album pour lequel Florence Graybill Curtis a
sélectionné les plus belles photos de son père. Son témoignage et des documents inédits
retracent en détail la vie et l’œuvre de celui qui, pendant trente ans,
poursuivit avec une passion et un acharnement exceptionnels la mission qu’il
s’était fixée.
A travers son objectif, Curtis saisit les visages, les
attitudes, les rites, les scènes de la vie quotidienne et de l’intimité, mais
aussi les paysages, le cadre de vie et l’habitat de quelque quatre-vingts
tribus.
Le résultat force l’admiration : ses photographies
restituent la beauté et la grandeur d’un univers aujourd’hui mythique que ce livre
émouvant et rare, en même temps qu’il rend hommage à un immense artiste,
ressuscite à jamais. » (Résumé du livre)
Les photographies de Curtis sont touchantes, puissantes… Il
a ouvert la voie de l’âme des Indiens et son énorme documentation continue d’inspirer
des gens de toutes sortes. Ses portraits sont saisissants et naturels. On y
croise des regards. Et ces regards nous parlent, pénètrent à leur tour notre
âme et force notre pensée, nous propulsent sur diverses interrogations.
Méritaient-ils un tel destin ? Qu’avons-nous fait d’eux ? L’artiste
Donni Buffalo Dog, elle-même d’origine indienne a, à sa façon, repris certaines
photos de Curtis (des portraits) pour en faire des dessins à l’encre très
particuliers notamment des gros plans de visages très ridés ou des visages
noircis au maximum. On dirait que certains visages sortent des ténèbres comme si
elle voulait les faire réapparaitre sur Terre. Est ce que c'était la volonté de
l’artiste ? Je me pose la question. Alors que, de mon côté, j’utilisais le
papier Kraft pour reproduire certains portraits d’Indiens comme si je désirais
les faire revenir de la terre des plaines (couleur du Kraft), de leur
Terre-mère si adorée, elle s’employait à faire revenir des visages d’un ciel
noir, empli de tâches d’encre. Ses dessins ont produit sur moi « une
petite révolution intérieure » car nous avions reproduit des portraits
identiques de manière différente et ses portraits ridés, de façon parfois exagérée,
m’ont révélé une technique d’approche du dessin beaucoup plus marquée : j’abandonnais
mes crayons graphites et prenais de la craie blanche (white coal) pour des
traits très accentués sur du papier noir… Découvrons maintenant la voix de
l’artiste !
Donni Buffalo Dog, artiste et auteur
métisse amérindienne :
Dans l’extrait ci-dessous, Kawin Reynolds nous éclaire
un peu sur sa vie dans un ouvrage consacré à ses dessins, ses sculptures en
bronze et ses gravures:
« Buffalo Dog avait déjà dépassé quarante-cinq hivers
quand elle réalisa qu’il y avait pour elle une autre façon de vivre que celle
qu’elle avait toujours connue. Elle quitta la ville et la société des Blancs
pour aller vivre au milieu de la nature sauvage dans un tipi. Là, avec la seule
compagnie de ses chiens bien-aimés et de son travail, elle partit à la recherche
et sur les pas de ses ancêtres amérindiens. Là, aussi, elle trouva une paix
qu’elle recherchait depuis longtemps.
Après la mort prématurée de son père Pawnee/Cherokee, alors
qu’elle n’était qu’un bébé, Donni fut élevée par sa mère américaine sans que
rien de sa double appartenance ne lui soit révélé. Pourtant, d’aussi loin
qu’elle se souvienne, elle a toujours ressenti un gouffre entre elle-même et la
société des Blancs dans laquelle elle s’efforçait de vivre. […]
Dessins de Donni Buffalo Dog |
[…] Sans conteste, on trouve dans son œuvre des traces de
cette approche ancestrale, celle d’un peuple qui observe attentivement le monde
naturel qui l’entoure et qui vit en harmonie avec cette nature. […]
[…] La pureté de son inspiration et la persévérance de ses
intentions ont fait reconnaître son œuvre et cette artiste dont le double
propos et unique est la spiritualisation du monde naturel et la représentation
des peuples tribaux qui, jadis, y habitaient. »
Comme l’a souligné précédemment Claude Lévi-Strauss, les
Indiens du Sud et du Nord étaient en si grande symbiose avec leur milieu
naturel qu’on peut dire qu’ils étaient des écologistes avant l’heure…
Dessins de Donni Buffalo Dog |
Voici maintenant quelques pensées de l’artiste… A méditer !!!
.… Pour apprendre quelque chose dont vous ne connaissez
rien,
vous devez toujours abandonner d’autres choses….
C’est pourquoi je vous demande de laisser votre vanité en
d’autres lieux,
d’entrer dans ce livre avec la volonté et l’esprit dénués de
critique d’un enfant,
de quelqu’un d’ouvert à la découverte de ce qui se présente.
Ne regardez pas seulement ce peuple…. ces « Indiens »….
mais regardez EN EUX.
Et quand vous aurez vu les choses familières, regardez à
nouveau,
regardez plus longtemps, plus près et plus profondément.
Cherchez ce que vous ne pouvez pas facilement reconnaître :
le triomphe qui contrebalance la tragédie.
Regardez et méditez sur ce que vous aurez vu.
Puis…. cherchez encore !
De cette manière, en vous rapprochant encore plus du
« peuple »,
vous approcherez de votre propre centre.
Comprenez l’importance, la vérité, ce qu’ils appellent la
« différence »
et peut-être découvrirez-vous quelque chose de bon.
Le bon : quelque chose de bon pour vous,
quelque chose de bon pour celui qui est différent de vous….
ET QUELQUE CHOSE DE BON POUR LE TOUT.
« Le voyage personnel vers l’expansion est long,
difficile, parsemé de questions, et les réponses, les résultats ne viennent que
de l’intérieur de soi-même ».
« Peut-être trop nombreux sont ceux d’aujourd’hui qui
ont juste assez de religion pour se haïr et pas assez pour s’aimer. »
« La légende : une histoire construite sur la
vérité des traditions, racontée d’une voix captivante, accompagnée du langage
des signes…. et peut-être d’une plume d’aigle pour accentuer l’importance de
l’instant. »
« Quand vous ressentez le besoin d’apprendre quelque
chose, installez-vous en silence aux pieds de celui ou de celle qui sait
quelque chose.
Ecoutez et observez, reconnaissez et mémoriser…. et alors,
peut-être. Peut-être !!!!
« Moins je parle, plus je comprends. »
« Le courage c’est d’abandonner ce qui nous est
familier. »
Et maintenant voyons mes dessins d'après les photographies de Edward Sheriff Curtis, grand inspirateur pour tous, écrivains ou artistes !
Et quand bien même, les morts d'autrefois (les Indiens d'Edward Sheriff Curtis ou d'autres) revenaient, ce ne serait pas pour nous brimer car leurs humiliations en ont faits des hommes de Paix et ils ne nous donneraient que des leçons de vie...
George Catlin (1796-1872), peintre
des Indiens des plaines.
« Il est un drôle de pistolet. Tout le poussait à
assurer son existence, joyeuse, entreprenante, tonique comme savent le faire
mieux que quiconque ceux que nous nommons aujourd’hui « les
Américains ». Au début du XIXe siècle, sur ce vaste territoire qui incite
à l’aventure, il se destine par conformisme familial à une brillante carrière
d’avocat, mais l’aventure le rattrape. Il préfère la peinture à la vie morne
des bureaux ; il y passe tout son temps, et quand il ne peint pas, il
voyage à la recherche de ses sujets. A vingt-cinq ans, en 1821, emporté par sa
fougue, il lâche tout pour se faire le témoin de ce qui sera l’unique passion
de toute sa vie : les Indiens, premiers et légitimes habitants de cette
terre qui s’étend à perte de vue. Pour les peindre et les dessiner d’abord,
rassembler ce qui fait leur spécificité ensuite : costumes, masques,
coiffes, bijoux armes, objets, artisanat… Et toujours prendre des notes
innombrables. Tout est devenu pour lui source d’inspiration et
d’émerveillement. Une telle force vitale au contact direct de la nature lui
inspire le plus grand respect, loin, très loin de la bourgeoisie qu’il a
quittée. Il saisit sur le vif ce qu’il voit, ce qu’il vit, restant de longs
moments chez les uns et les autres. Il devient Indien lui-même, ou peu s’en
faut, pendant toutes ces années. Il tire le portrait des chefs, provoquant à la
fois la crainte et la stupeur devant le résultat immédiat de ses œuvres. Ses
modèles veulent être représentés de face, jamais de profil pour ne pas être un
homme à moitié.
En 1838, George Catlin a
constitué une « collection » avec tout le matériel rassemblé
patiemment. C’est la première du genre, la plus complète, obtenue sans
contrainte ni spoliation. Il la présente sur la côte est des Etats-Unis, où il
obtient un succès d’estime mais pas la reconnaissance officielle qu’il
attendait ; puis il s’embarque pour l’Europe où il restera huit ans avec
sa « troupe d’Indiens », recrutée pour l’occasion. Londres et Paris
lui font un triomphe. Le roi Louis-Philippe le reçoit au palais des Tuileries
en 1845. Les danseurs amérindiens qui accompagnent le peintre font sensation.
Baudelaire, Théophile Gautier, Delacroix, George Sand… sont admiratifs de cet
ethnologue avant l’heure qui les plonge dans un monde inconnu, même s’ils ne
sont pas dupes de la signification un peu mortifère de ce spectacle d’une
civilisation en sursis, qui va disparaître dans peu d’années… » (Résumé du
livre)
Drawings on black paper : Catherine Pulleiro