jeudi 6 novembre 2014

La grande ambition de Mikimoto ! 御木本

Pourquoi Monsieur Kokichi Mikimoto ? Parce qu’il est en soi un véritable modèle de courage, de ténacité et d’inventivité pour tous ceux qui veulent comprendre la mentalité japonaise. Il a su, en effet, affronter avec force de caractère les épreuves de sa vie intime notamment le décès précoce de sa femme ainsi que les diverses catastrophes économiques et naturelles qui ont jalonné sa carrière, et malgré des échecs variés, il a su prendre les décisions qui s’imposaient pour atteindre sa grande ambition : créer des perles de culture parfaitement rondes à partir des huîtres. De plus, on notera que sa personnalité compréhensive et altruiste a favorisé autour de lui un modèle de société progressiste grâce aux diverses commodités qu’il désirait offrir à ses nombreux employés.
D’un modeste fabriquant de nouilles, il deviendra le patron à l’origine de l’énorme entreprise commerciale autour des perles de culture qui embellira plus tard les femmes riches du monde entier, les stars, les mannequins… « Si nous avons une leçon à tirer devant l’histoire de cette vie, c’est devant cette belle persévérance orientale qu’il faut nous incliner. Persévérance qui valut à l’heureux mortel un titre poétique dont les Japonais ont le secret et que nous pouvons traduire par l’homme qui a ajouté à la beauté de la femme. » La mise à jour de sa vie nous permettra donc de cerner encore un peu mieux les traits de caractère liés à la société japonaise et d’avancer ainsi dans le rapprochement de deux univers bien différents, la France et le Japon.

MIKIMOTO ( 御木本) est né en 1858 dans une période de mutations au Japon. Les shoguns sont renversés et l’empereur revient au pouvoir en 1867. La féodalité est abolie. C’est le début de l’époque Meiji et Mikimoto bénéficiera des bienfaits de cette nouvelle période. « Dans les années qui suivirent, le commerce avec l’étranger se développa rapidement. Des inventions de l’Occident, telles que les chemins de fer, le téléphone, et les rotatives d’imprimerie furent introduites dans le pays en échange de l’ouvrage d’un ver capable de transformer les feuilles de mûrier en soie. L’empereur-enfant et ses suivants, comprenant la futilité de l’isolement, envoyèrent bientôt leurs gens apprendre les arts et la culture de l’Occident. Ces émissaires revinrent avec des notions nouvelles qui permirent la création d’écoles modernes, d’un nouveau système bancaire, de codes, d’une industrie moderne, d’une armée et d’une marine puissantes. »

Alors qu’il allait avoir bientôt 20 ans, Kokichi demanda à son père souffrant s’il pouvait partir en voyage avec un de ses voisins. Son père l’autorisa et il se rendit à Tokyo puis à Yokohama. « […] il fut fasciné en pénétrant dans le quartier où les commerçants chinois achetaient des petites perles, à bon prix. […] Il s’arrêta à l’étalage d’un vendeur de nacre et passa le doigt sur les surfaces merveilleusement polies. […] Devant une autre boutique vendant des coquillages polis, dignes d’un roi, il s’arrêta, pour admirer. […] On le revit souvent à Yokohama, au point que vendeurs de coquillages et acheteurs de perles se fatiguèrent de le voir. »

Son père décéda en 1883. Dès lors, Kokichi eut la responsabilité des deux boutiques familiales, en plus de l’affaire qu’il s’efforçait de lancer. Juste avant son mariage (1881), il fut élu conseiller municipal et se jeta dans les affaires publiques en tant que représentant de la chambre de commerce locale. Son parcours le rapprochait à chaque fois un peu plus près de sa future grande ambition… « Un peu avant son mariage, il cautionna une exposition de petites perles, de nacres et de coquillages. Il n’y participa pas directement mais seulement en qualité de juge, pensant qu’il apprendrait ainsi davantage. » Il ne cessait d’observer, de réfléchir, d’expérimenter ceci ou cela autour des perles : « Kokichi passa la plus grande partie de son temps sur le bord de la mer, tenant dans la main des petites perles, observant de jeunes huîtres, ou polissant un morceau de nacre jusqu’à ce qu’il brillât comme un bijou. »

Mikimoto voulait parvenir à cultiver des huîtres perlières dans un idéal de perfection. Il fallut attendre un contexte historique favorable pour que l’activité des perles évolue : « Comme beaucoup d’autres choses au Japon, la pêche de la perle ne prit une véritable importance qu’après que l’empereur Meiji eut libéré cerveaux et bras de la nation. Jusqu’en 1870, trouver une perle dans une huître était beaucoup plus le fait du hasard que celui d’une recherche systématique. Cependant dès le début de la période Meiji, des pêcheurs entreprenants se mirent à chercher au fond de la mer des huîtres appelées à donner autre chose que leur chair. […] Lorsqu’il devint président de l’Association d’Amélioration des Produits de la Mer de Shima, ces lieux de pêche avaient été si bien fouillés que l’on songeait sérieusement à organiser la protection de l’huître. D’un autre côté, le monde s’enrichissait et la demande de perles croissait sans cesse. Dès le début, Mikimoto chercha la perfection. Il voyait ses amis vendre des perles de basse qualité, tachées ou même de petits globules, gris, trop tôt retirés du ventre de l’huître. Il n’admettait pas qu’on sacrifiât la beauté à l’avidité. »

En 1887, alors que sa réputation commençait à se faire, il participa à une exposition nationale des produits de la mer à Tokyo où il exposait ses perles de culture. Il obtint le deuxième prix car les perles d’un autre exposant avait été jugées « légèrement supérieures » aux siennes. Un jour, alors qu’il déplorait la pêche à tort et à travers des huîtres sur les côtes de la région, il émit l’idée d’adopter de nouvelles méthodes d’élevage dans des parcs à huîtres et de fonder une coopérative. Mikimoto ne réussit cependant à convaincre qu’un seul village de la valeur de son projet. Cela ne l’ébranla pas pour autant… « Le 11 septembre 1888, les villageois commencèrent à récolter les huîtres et à les concentrer dans des parcs. » Mais, un jour, Mikimoto se posa la question de la vraie origine des perles. Sa femme lui répondit alors qu’elle provenaient de la « Providence divine »… ou qu’elles étaient le résultat d’un « accident ». Mikimoto maniait cependant chaque jour des huîtres pour trouver une autre réponse car il était persuadé qu’on devait pouvoir les semer et les cultiver comme le riz. Un jour, il alla voir un docteur ès sciences naturelles qui lui dit qu’à l’origine de la perle il devait y avoir une impureté car si on ouvrait la perle on pouvait y apercevoir de petites particules qui n’avaient rien à voir avec de la nacre. Il fallait donc qu’un corps étranger pénètre dans l’huître.
Fin 1890, Mikimoto tomba malade d’épuisement. Alité, il se confia à sa mère âgé de 51 ans :
« Je ne sais que faire ni comment travailler. Je vais à tâtons, dans le noir. J’ai d’abord essayé d’un bout de verre cassé ou de poterie ; les huîtres l’ont recraché aussi vite que nous l’insérions. Puis, nous avons employé des petits morceaux de nacre que nous avons disposés sur le bord du manteau de l’huître.[…]Nous avons tout tenté, tout essayé. »

Au village, on le prenait pour un fou du fait de son acharnement au travail des huîtres et certaines personnes pensaient reprendre la pêche, activité rentable face aux multiples doutes engendrés par la culture des perles : « Des mille huîtres sur lesquelles il avait opéré l’année précédente, aucune ne montrait la moindre envie de donner une perle. » Puis, il fit face en 1892 à une catastrophe naturelle appelée la marée rouge (foisonnement d’animaux microscopiques, sorte de plancton qui s’attaque en particulier aux mollusques) qui détruisit toutes ses huîtres soit 4 années de travail (perte de 5.000 huîtres). Il fut obligé de quitter sa famille pour trouver du travail, et d’apprendre un nouveau métier jusqu’à Hokkaido, dans une ferme d’Etat. Lorsqu’il rentra à son village, il se fit discret car il devait de l’argent à ses créanciers. Un jour d’été, en juillet 1893, c’est-à-dire cinq ans après la première immersion d’huîtres, il put enfin admirer sa première perle de culture. Il s’agissait d’une huître dans laquelle on avait ensemencé une particule de nacre. La perle était blanche, semi-circulaire. Sa seule déception provenait du fait que la perle n’était pas ronde. La découverte se répandit : « La nouvelle courut tout le Japon. Les perles n’étaient pas rondes mais Mikimoto avait trouvé le moyen d’inciter les huîtres à fabriquer le joyau de la mer. […] Mikimoto déposa une demande de brevet pour éviter de se voir frustré par des concurrents sans scrupules. De vieux amis lui fournirent les fonds nécessaires. »
Photo : service de presse Mikimoto
Mikimoto installa alors son quartier sur l’île inhabitée de Tatoku et réussit une fois de plus à convaincre les villageois d’abandonner la pêche au profit des huîtres perlières : « Ils déplacèrent des tonnes de pierres, d’ardoise et de madriers pour construire les bancs où dormiraient les huîtres dans leurs casiers de bambou. Ceci fait, ils durent sillonner la préfecture de Shima dans tous les sens pour trouver les huîtres. Ils en accumulèrent dix mille. » Encouragé par son activité florissante, il reçut un brevet : « le 27 janvier 1896, Kokichi Mikimoto recevait son brevet concernant la culture des perles demi-rondes, pour dix ans. »

Copyright Catherine Pulleiro Photo : M.W
Mais le malheur s’abattit sous une autre forme : sa femme décède à l’âge de 32 ans (Mikimoto en a 38) et lui laisse cinq enfants : quatre filles (14, 11, 9, 7 ans) et un garçon (2 ans). Mikimoto décida alors de les ramener à Toba et de les confier à sa mère âgée de 55 ans : « Après la mort d’Ume, Mikimoto se jeta au travail avec l’énergie d’Henry Ford. Il voulait avoir un million d’huîtres dans ses parcs en 1902. Pour cela, il fallait ensemencer 250.000 huîtres par an. » En février 1898, il fit sa première récolte et ouvrit un magasin à Tokyo. Sa deuxième récolte, en avril 1900, lui permit d’obtenir 4.200 perles toutes demi-rondes mais magnifiques. Son succès avait même attiré le ministre de l’agriculture sur l’île de Tatoku. Celle-ci se vit attribuer une nouvelle appellation « l’Ile des nombreuses vertus » afin de souligner la reconnaissance de l’œuvre de Mikimoto et de ses bienfaits envers de nombreuses personnes. « Avec le développement de la culture des perles, le pittoresque de l’île de Tatoku s’accrut sensiblement du fait des plongeuses. » ; « Quand Mikimoto se mit à produire ses perles de façon régulière, industrielle, la demande en plongeuses s’accrut. Comprenant leur valeur, Mikimoto encourageait les filles de la côte à s’entraîner et à instruire leurs camarades. » ; « Mikimoto a toujours scrupuleusement veillé à la sécurité des plongeuses, ce qui explique pourquoi, en dépit des risques inhérents à la profession, aucune de ses employées ne s’est jamais noyée. »
Copyright Catherine Pulleiro. Photo M.W.
Mikimoto avait aussi le sens du commerce et savait attirer les personnes les plus influentes. Il attira l’homme le plus populaire du Japon, le prince Komatsu, le premier cousin de l’empereur Meiji qui reconnut derechef le travail incroyable de l’œuvre Mikimoto. C’est par l’intermédiaire du prince que les perles de Mikimoto arrivèrent en Angleterre, pour le couronnement du roi Edouard VII : « Komatsu les confia à des joailliers parisiens qui en firent des bijoux destinés à la famille royale d’Angleterre. Les journaux de Londres et de Paris parlèrent beaucoup des nouvelles perles demi-rondes du Japon. La visite de Komatsu attira l’attention de l’Europe sur les perles de culture. »

Il profita également de la cinquième exposition industrielle nationale à Osaka pour exposer ses perles. Puis, il exposa aussi à l’étranger afin d’intéresser des acheteurs. En 1904, le premier correspondant du New York Herald visita l’île des perles. Mais en janvier 1905, la marée rouge vint pour la troisième fois ruiner son travail (850.000 huîtres mortes) et ses essais pour obtenir une perle parfaitement ronde. Ne voulant pas céder au désespoir, il ouvrit, une à une, une quantité incroyable d’huîtres pour constater de l’évolution des perles lorsqu’il tomba enfin sur une perle bien ronde : « Ce n’était pas un hasard, un accident… Une fois encore, il avait transformé la défaite en victoire – la plus grande victoire de sa vie. »

En 1908, un courant glacé faillit ruiner à nouveau son travail et en 1911, une invasion de pieuvres se jeta sur les mollusques pour les dévorer. Mikimoto fit face à ses épreuves. Mais il ne perdit jamais courage et comme il l’avait annoncé en privée à l’empereur, il voulait monter une grande industrie des perles de culture pour répondre aux besoins du monde entier. Ainsi, il porta le nombre de ses employés et ouvriers à plus de mille personnes sur l’île. Il leur offrit de nombreuses facilités matérielles afin qu’ils aient une vie agréable et leur salaire était convenable en comparaison d’autres entreprises. Il fit construire des bâtiments utiles à tous : « Mikimoto a établi des écoles, un bureau de poste et d’autres organisations communes… » Il fut aussi un bon conseiller pour ses employés : « Il veille aussi à encourager l’épargne, recommande à ses ouvriers de prendre des fonds d’Etat, et donne l’exemple. » Et il attira des professionnels autour de son activité : « Des charpentiers, des plâtriers et un forgeron vinrent s’installer dans l’île. Un dentiste y exerça sa profession et, en cas d’accident, administre les premiers soins, en attendant l’arrivée du médecin. » Il entrera dans la postérité en 1954 à l’âge de 96 ans.


Photo : service de presse Mikimoto

cf. « Mikimoto, le roi des perles », Robert Eunson, Editions Pierre Horay, Paris 1957.