samedi 20 janvier 2018

C'est quoi, l'ethnologie ?

レヴィ・ストロース。フランスの文化人類学者。
Claude Lévi-Strauss (1908-2009), savant, fondateur de l’Anthropologie structurale, Académicien…

Dans le documentaire vidéo Claude Lévi-Strauss par lui-même (1h30 env.), l’ethnologue répond aux questions de Bernard Pivot en ce qui concerne la signification de l’ethnologie et le lien existant entre les ethnologues et l’écologie.


A quoi sert l’Ethnologie en général ?

« C’est une des nombreuses manières d’essayer de comprendre l’Homme. Si on veut comprendre l’Homme, on peut à la manière du philosophe se replier sur soi-même et essayer d’approfondir les données de la conscience. On peut essayer de regarder ce qui dans les manifestations de la vie humaine est le plus proche de nous, considérer notre Histoire depuis ses origines gréco-romaines jusqu’aux temps modernes ou bien on peut essayer d’élargir la connaissance de l’Homme pour y inclure même les sociétés les plus lointaines (et qui nous paraissent les plus humbles et les plus misérables) de manière à ce que rien d’humain ne nous reste étranger. »

Est-ce que les ethnologues n’ont pas été, avant tout le monde, les premiers écologistes ?

« Je pense que c’est vrai. Et c’est vrai parce qu’ils sont à l’école de peuples qui eux-même sont des écologistes qui ont réussi au prix de toutes sortes de pratiques (que nous jugeons supersticieuses et avec un peu de dédain) à se maintenir en équilibre avec le milieu naturel. Vous savez, quand parmi ces peuples d’Amérique du Sud et également du Nord, il existe des croyances en un Maître des animaux qui veille jalousement sur les procédés de chasse et dont on sait qu’il enverra des châtiments surnaturels à celui ou à ceux qui tueraient plus qu’il n’est strictement nécessaire… quand pour cueillir la moindre plante médicinale, il est nécessaire de faire d’abord des offrandes à l’esprit de cette plante… Et bien,  tout ça oblige à entretenir  avec la Nature des rapports mesurés.
Et certains peuples ont même la croyance que le capital de vie qui est à la disposition des êtres ne fait qu’une masse. Et par conséquent, chaque fois qu’on en prend trop dans une espèce, on doit le payer au dépend de la sienne propre. Et bien, tout cela bien-sûr frappe l’ethnologue et lui montre à quel point une façon, je dirais, censée pour l’Homme de vivre et de se conduire est de se considérer (non pas comme nous l’avons fait depuis l’Ancien Testament et le Nouveau, et depuis la Renaissance aussi) comme le Seigneur et les Maîtres de la Création mais comme une partie de cette Création que nous devons respecter puisque ce que nous détruisons ne sera jamais remplacé et que, nous devons transmettre tel que nous l’avons reçu à nos descendants. Ca, c’est une grande leçon ! Je dirais même que c’est la plus grande leçon que l’ethnologue peut tirer de son métier. »


La carrière de Claude Lévi-Strauss s’est joué un dimanche de l’automne 1934 à 9h du matin lorsqu’il reçoit un appel téléphonique lui demandant s’il avait toujours envie de faire de l’ethnographie et si c’était bien le cas, d’envoyer sa candidature comme Professeur de Sociologie à l’Université de San Paolo au Brésil. On lui précise alors que les faubourgs de la ville étaient remplis d’Indiens et qu’il aurait le temps de leur consacrer ses week-ends. C’est plus tard, dans ses années à New-York, notamment à la New-York Public Library où il lit un nombre considérable d’ouvrages sur la formation d’ethnologue.
C’est donc auprès des peuples indiens d’Amazonie qu’il fait ses premières expériences de terrain que l’on situe entre 1935 et 1939. Voir le documentaire de 45 mn A propos de Tristes tropiques ( avec des archives cinématographiques et photographiques ainsi que des extraits lus de Tristes tropiques), qui lui est dédié. Voici quelques éléments d’observation qu’il a pu noter sur trois groupes d’Indiens du Mato Grosso.

Parmi les Caduvéo : « Les Indiens étaient ivres morts la plupart du temps et conservaient un Art d’un raffinement et d’une subtilité extraordinaire. Je pense que cela a été un des mobiles déterminants de ma réflexion sur tout ce que j’ai écrit par la suite sur les Arts des peuples dits primitifs en général et sur les Arts de notre propre société. »
Parmi les Bororo : « […] C’est un système religieux qui est probablement un des plus compliqués qu’on connaisse dans l’ensemble de l’Humanité par un panthéon qui comprend toutes sortes de dieux, un rituel tellement riche… »
Parmi les Nambikwara : « On y trouve l’essence même de la vie sociale réduite à sa plus simple expression. Ils dorment par terre et nus. Ils se réchauffent en se serrant les uns contre les autres ou se rapprochent des feux de camps qui s’éteignent. Couchés à même la terre qui s’étend alentour, les époux étroitement enlacés se perçoivent comme étant l’un pour l’autre le soutien, le réconfort, l’unique secours contre les difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui de temps à autre envahit l’âme Nambikwaras. On devine chez tous, une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale et rassemblent ces sentiments divers, quelque chose comme l’expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine. »  


Les Ethnologues photographient, filment voire dessinent, ce n’est pas rare… La documentation imagée est une aide précieuse pour l’ethnologue : elle vient éclairer le texte rendu parfois trop ardu par des traditions trop éloignées des notre ou des représentations figuratives difficilement traduisibles à l’écrit.
Les Indiens d’Amérique du Sud et du Nord ont suscité et suscitent toujours beaucoup d’intérêt. Dans des articles précédents, j’avais déjà présenté Edward Sheriff Curtis. Je me dois de le réintroduire ici suite à la découverte des œuvres artistiques de Donni Buffalo Dog qui s’est inspirée du travail du photographe.

 Edward Sheriff Curtis (1868-1952), photographe des Indiens :

« Au début du siècle, Edward Sheriff Curtis entreprend de photographier les Indiens d’Amérique du Nord afin d’immortaliser ce qui peut être sauvé de ces cultures sur le point de disparaître, dans leur forme originelle.
Comment cette œuvre monumentale (40 000 clichés) est-elle née dans l’esprit de son créateur et comment l’a-t-il menée à bien ? Tel est le sujet de ce magnifique album pour lequel Florence Graybill Curtis a sélectionné les plus belles photos de son père. Son témoignage et des documents inédits retracent en détail la vie et l’œuvre de celui qui, pendant trente ans, poursuivit avec une passion et un acharnement exceptionnels la mission qu’il s’était fixée.
A travers son objectif, Curtis saisit les visages, les attitudes, les rites, les scènes de la vie quotidienne et de l’intimité, mais aussi les paysages, le cadre de vie et l’habitat de quelque quatre-vingts tribus.
Le résultat force l’admiration : ses photographies restituent la beauté et la grandeur d’un univers aujourd’hui mythique que ce livre émouvant et rare, en même temps qu’il rend hommage à un immense artiste, ressuscite à jamais. » (Résumé du livre)


Les photographies de Curtis sont touchantes, puissantes… Il a ouvert la voie de l’âme des Indiens et son énorme documentation continue d’inspirer des gens de toutes sortes. Ses portraits sont saisissants et naturels. On y croise des regards. Et ces regards nous parlent, pénètrent à leur tour notre âme et force notre pensée, nous propulsent sur diverses interrogations. Méritaient-ils un tel destin ? Qu’avons-nous fait d’eux ? L’artiste Donni Buffalo Dog, elle-même d’origine indienne a, à sa façon, repris certaines photos de Curtis (des portraits) pour en faire des dessins à l’encre très particuliers notamment des gros plans de visages très ridés ou des visages noircis au maximum. On dirait que certains visages sortent des ténèbres comme si elle voulait les faire réapparaitre sur Terre. Est ce que c'était la volonté de l’artiste ? Je me pose la question. Alors que, de mon côté, j’utilisais le papier Kraft pour reproduire certains portraits d’Indiens comme si je désirais les faire revenir de la terre des plaines (couleur du Kraft), de leur Terre-mère si adorée, elle s’employait à faire revenir des visages d’un ciel noir, empli de tâches d’encre. Ses dessins ont produit sur moi « une petite révolution intérieure » car nous avions reproduit des portraits identiques de manière différente et ses portraits ridés, de façon parfois exagérée, m’ont révélé une technique d’approche du dessin beaucoup plus marquée : j’abandonnais mes crayons graphites et prenais de la craie blanche (white coal) pour des traits très accentués sur du papier noir… Découvrons maintenant la voix de l’artiste !   
  
Donni Buffalo Dog, artiste et auteur métisse amérindienne :

Dans l’extrait ci-dessous, Kawin Reynolds nous éclaire un peu sur sa vie dans un ouvrage consacré à ses dessins, ses sculptures en bronze et ses gravures:

« Buffalo Dog avait déjà dépassé quarante-cinq hivers quand elle réalisa qu’il y avait pour elle une autre façon de vivre que celle qu’elle avait toujours connue. Elle quitta la ville et la société des Blancs pour aller vivre au milieu de la nature sauvage dans un tipi. Là, avec la seule compagnie de ses chiens bien-aimés et de son travail, elle partit à la recherche et sur les pas de ses ancêtres amérindiens. Là, aussi, elle trouva une paix qu’elle recherchait depuis longtemps.
Après la mort prématurée de son père Pawnee/Cherokee, alors qu’elle n’était qu’un bébé, Donni fut élevée par sa mère américaine sans que rien de sa double appartenance ne lui soit révélé. Pourtant, d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours ressenti un gouffre entre elle-même et la société des Blancs dans laquelle elle s’efforçait de vivre. […]

Dessins de Donni Buffalo Dog

 […] Sans conteste, on trouve dans son œuvre des traces de cette approche ancestrale, celle d’un peuple qui observe attentivement le monde naturel qui l’entoure et qui vit en harmonie avec cette nature. […]

[…] La pureté de son inspiration et la persévérance de ses intentions ont fait reconnaître son œuvre et cette artiste dont le double propos et unique est la spiritualisation du monde naturel et la représentation des peuples tribaux qui, jadis, y habitaient. »

Comme l’a souligné précédemment Claude Lévi-Strauss, les Indiens du Sud et du Nord étaient en si grande symbiose avec leur milieu naturel qu’on peut dire qu’ils étaient des écologistes avant l’heure…
Dessins de Donni Buffalo Dog
  
Voici maintenant quelques pensées de l’artiste… A méditer !!!

.… Pour apprendre quelque chose dont vous ne connaissez rien,
vous devez toujours abandonner d’autres choses….

C’est pourquoi je vous demande de laisser votre vanité en d’autres lieux,
d’entrer dans ce livre avec la volonté et l’esprit dénués de critique d’un enfant,
de quelqu’un d’ouvert à la découverte de ce qui se présente.

Ne regardez pas seulement ce peuple…. ces « Indiens »….
mais regardez EN EUX.

Et quand vous aurez vu les choses familières, regardez à nouveau,
regardez plus longtemps, plus près et plus profondément.

Cherchez ce que vous ne pouvez pas facilement reconnaître :
le triomphe qui contrebalance la tragédie.

Regardez et méditez sur ce que vous aurez vu.

Puis…. cherchez encore !

De cette manière, en vous rapprochant encore plus du « peuple »,
vous approcherez de votre propre centre.

Comprenez l’importance, la vérité, ce qu’ils appellent la « différence »
et peut-être découvrirez-vous quelque chose de bon.

Le bon : quelque chose de bon pour vous,
quelque chose de bon pour celui qui est différent de vous….
ET QUELQUE CHOSE DE BON POUR LE TOUT.

 « Le voyage personnel vers l’expansion est long, difficile, parsemé de questions, et les réponses, les résultats ne viennent que de l’intérieur de soi-même ».

« Peut-être trop nombreux sont ceux d’aujourd’hui qui ont juste assez de religion pour se haïr et pas assez pour s’aimer. »

« La légende : une histoire construite sur la vérité des traditions, racontée d’une voix captivante, accompagnée du langage des signes…. et peut-être d’une plume d’aigle pour accentuer l’importance de l’instant. »

« Quand vous ressentez le besoin d’apprendre quelque chose, installez-vous en silence aux pieds de celui ou de celle qui sait quelque chose.
Ecoutez et observez, reconnaissez et mémoriser…. et alors, peut-être. Peut-être !!!!

« Moins je parle, plus je comprends. »

« Le courage c’est d’abandonner ce qui nous est familier. »

 Et maintenant voyons mes dessins d'après les photographies de Edward Sheriff Curtis, grand inspirateur pour tous, écrivains ou artistes !












Et quand bien même, les morts d'autrefois (les Indiens d'Edward Sheriff Curtis ou d'autres) revenaient, ce ne serait pas pour nous brimer car leurs humiliations en ont faits des hommes de Paix et ils ne nous donneraient que des leçons de vie...

George Catlin (1796-1872), peintre des Indiens des plaines.

« Il est un drôle de pistolet. Tout le poussait à assurer son existence, joyeuse, entreprenante, tonique comme savent le faire mieux que quiconque ceux que nous nommons aujourd’hui « les Américains ». Au début du XIXe siècle, sur ce vaste territoire qui incite à l’aventure, il se destine par conformisme familial à une brillante carrière d’avocat, mais l’aventure le rattrape. Il préfère la peinture à la vie morne des bureaux ; il y passe tout son temps, et quand il ne peint pas, il voyage à la recherche de ses sujets. A vingt-cinq ans, en 1821, emporté par sa fougue, il lâche tout pour se faire le témoin de ce qui sera l’unique passion de toute sa vie : les Indiens, premiers et légitimes habitants de cette terre qui s’étend à perte de vue. Pour les peindre et les dessiner d’abord, rassembler ce qui fait leur spécificité ensuite : costumes, masques, coiffes, bijoux armes, objets, artisanat… Et toujours prendre des notes innombrables. Tout est devenu pour lui source d’inspiration et d’émerveillement. Une telle force vitale au contact direct de la nature lui inspire le plus grand respect, loin, très loin de la bourgeoisie qu’il a quittée. Il saisit sur le vif ce qu’il voit, ce qu’il vit, restant de longs moments chez les uns et les autres. Il devient Indien lui-même, ou peu s’en faut, pendant toutes ces années. Il tire le portrait des chefs, provoquant à la fois la crainte et la stupeur devant le résultat immédiat de ses œuvres. Ses modèles veulent être représentés de face, jamais de profil pour ne pas être un homme à moitié.
En 1838, George Catlin a constitué une « collection » avec tout le matériel rassemblé patiemment. C’est la première du genre, la plus complète, obtenue sans contrainte ni spoliation. Il la présente sur la côte est des Etats-Unis, où il obtient un succès d’estime mais pas la reconnaissance officielle qu’il attendait ; puis il s’embarque pour l’Europe où il restera huit ans avec sa « troupe d’Indiens », recrutée pour l’occasion. Londres et Paris lui font un triomphe. Le roi Louis-Philippe le reçoit au palais des Tuileries en 1845. Les danseurs amérindiens qui accompagnent le peintre font sensation. Baudelaire, Théophile Gautier, Delacroix, George Sand… sont admiratifs de cet ethnologue avant l’heure qui les plonge dans un monde inconnu, même s’ils ne sont pas dupes de la signification un peu mortifère de ce spectacle d’une civilisation en sursis, qui va disparaître dans peu d’années… » (Résumé du livre) 

Drawings on black paper : Catherine Pulleiro

vendredi 12 janvier 2018

Un rêve... d'Everest !


1/ ヒラリー Edmund P. Hillary (1919-2008)
ニュージーランドの登山家。1953年イギリスのエヴェレスト登山隊に参加し、ネパール人テンジンとともに初登頂。(Alpiniste Néo-Zélandais. Avec le sherpa Tensing Norgay, il conquit pour la première fois le sommet de l’Everest en 1953.)

Lire son récit Au sommet de l’Everest (Ed. Hoebeke, 2016) : « Le 29 mai 1953, Edmund Hillary et le sherpa Tensing Norgay atteignent le sommet de l’Everest. Après un demi-siècle de tentatives infructueuses, la plus haute montagne du globe – 8848 m – est désormais vaincue. De tous les ouvrages que suscita cet exploit historique, voici le seul témoignage écrit par l’un des deux hommes qui réussiront à atteindre le toit du monde et à avoir la Terre entière à leurs pieds !
Vivant et captivant, sincère et spontané, le récit d’Hillary nous entraîne irrésistiblement dans un voyage extraordinaire : la conquête du ‘troisième pôle’, le dernier grand chapitre de l’histoire de l’exploration, l’un des plus glorieux. » Synopsis du livre.

« Sir Edmund Hillary (1919-2008) est né en Nouvelle-Zélande à Auckland. Après la conquête de l’Everest, il a participé à de nombreuses expéditions himalayennes et polaires. Jusqu’à sa mort, il s’est consacré  aux problèmes de l’environnement et aux populations de l’Himalaya, pour lesquelles il a réussi à faire construire écoles et hôpitaux. »

Edmund Hillary et Tensing Norgay

2/ Le livre de Jon Krakauer intitulé Tragédie à l’Everest nous est précieux non seulement pour « approcher » l’Everest et le monde des Alpinistes mais aussi parce qu’il est un témoignage important sur la tragédie du 10 mai 1996 qui s’est déroulée sur les pentes enneigées de la plus haute montagne du monde que l’on appelle le Toit du monde. Rappelons que Jon Krakauer, né en 1954, est journaliste et écrivain et qu’il a rédigé l’immense best-seller international Into the wild, adapté au cinéma en 2007 par Sean Penn.


Dans l’introduction de son livre, il écrit: « En mars 1996, le magazine Outside m’envoya au Népal pour participer à une ascension de l’Everest et en faire le récit. Je faisais partie d’un groupe de huit clients conduits par un guide réputé, originaire de Nouvelle-Zélande, Rob Hall. Le 10 mai, j’atteignis le sommet, mais le prix en fut terrible.
Sur les cinq compagnons de cordée qui parvinrent au sommet avec moi, quatre – et parmi eux, Hall lui-même – périrent au cours d’une tempête qui s’abattit brusquement sur nous alors que nous étions encore en haut du pic.
Pendant que je redescendais pour rejoindre le camp de base, neuf autres grimpeurs appartenant à quatre expéditions différentes furent tués et trois autres encore devaient disparaître avant la fin de ce mois.
J’en revins fortement secoué et j’eus du mal à rédiger mon article. Néanmoins, cinq semaines après mon retour du Népal, je remis mon texte à Outside, qui le publia dans son numéro de septembre. Ensuite, je tentai de chasser l’Everest de mon esprit. En vain. Plongé dans un brouillard de sentiments confus, je persistais à tenter de comprendre ce qui s’était passé là-haut et je revenais de façon obsessionnelle sur les circonstances de la mort de mes camarades. […] Mais la reconstitution de cette histoire était difficile à cause des effets de la haute altitude sur l’esprit humain. Pour éviter de m’en tenir à ma propre vision des choses, je me suis longuement entretenu avec la plupart des protagonistes de cette expédition. Chaque fois que cela a été possible, j’ai vérifié des points particuliers dans le cahier des communications radio du camp de base. […] »  

Le livre de Jon Krakauer va bien au-delà de la simple explication de la tragédie,  il fait des détours historiques qui nous mènent à Edmund Hillary (« En Nouvelle-Zélande, Hillary est l’une des figures les plus prestigieuses de la nation. Son visage énergique apparaît même sur les billets de 5 dollars » p.45), Reinhold Messner (« le fameux alpiniste tyrolien qui est de loin le plus grand grimpeur himalayen de tous les temps » p.150) et Chantal Mauduit  - qui avait dû être évaqué d’urgence en 1995 (« l’effondrement complet de la célèbre alpiniste qui en était pourtant à sa septième tentative de l’Everest sans oxygène. » p.290) - pour ne citer que les plus connus.

Il nous fait entrer dans le monde des croyances tibétaines, monde sacré où l’on entre avec prudence (« Vous devez porter ce kata jusqu’au sommet de l’Everest, cela plaira à la divinité et vous protégera. » p.60) et se comporte selon certaines prescriptions (« De nombreux récits parlent de ces grimpeurs qui décidèrent de rester dans leur sac de couchage après avoir décelé dans l’air des ondes de mauvais augure, échappant ainsi à la catastrophe qui allait emporter leurs compagnons moins attentifs aux présages » p.93) voire aux interdictions liées aux relations sexuelles sur les pentes de l’Everest (Sagarmatha, la Déesse du ciel) ou de pratiques pour se concilier les dieux (l’élévation de chortens ou la participation à une cérémonie religieuse…).

Il nous fait part des maladies liées à l’altitude (« l’œdème cérébral en haute altitude est moins fréquent que l’œdème pulmonaire mais son issue est plus souvent fatale » p.158)

Il nous parle de la beauté du paysage et des phénomènes climatiques : « Des troupeaux de cumulus couraient sous le soleil, imprimant sur le paysage un tableau mouvant d’ombre et d’aveuglante lumière » (p.158) ; « Dans la merveilleuse lumière du soleil à son zénith, la pyramide du sommet de l’Everest brillait derrière le voile intemittent des nuages. » (p.181) ou encore « La nuit avait une beauté froide et fantomatique qui s’intensifiait à mesure que nous montions. Je n’avais jamais vu autant d’étoiles dans le ciel. » (p.187)

Il nous fait entrer dans l’esprit des grimpeurs, ce qui nous permet de comprendre un peu mieux leurs vraies motivations même si chacun a ses propres raisons. On pénêtre dans un autre mode de fonctionnement mental, dans un autre monde… L’auteur nous entraîne par palier successif jusqu’au sommet de la montagne : chaque chapitre représente une progression en altitude. Ainsi le chapitre 6 correspond au camp de base de l’Everest (5365 mètres) et le chapitre 14 est une arrivée au sommet (8848 mètres) puis vient la descente.

Puis, parmi tous ces éléments, il y a l’histoire de la tragédie, une histoire vraie, terriblement douloureuse et si bien écrite… par un journaliste de talent !

3/ Il faut découvrir aussi  le livre de Beck Weathers intitulé Laissé pour mort à l’Everest parce que l’auteur faisait également partie de l’expédition tout comme Jon Krakauer. Ils se sont donc cotoyés mais chacun a avancé à son allure, ils n’ont donc pas vécu l’ascension de la même manière. De plus, l’auteur n’avait pas les mêmes aptitudes physiques mais c’est un homme d’une sacrée personnalité. Il a survécu au pire et sa personnalité incroyable l’a poussé à se démener pour survivre et rejoindre le camp avec une vision très très alterrée. L’histoire de Beck Weathers relate notamment sa passion pour la montagne mais aussi l’histoire de sa famille, ses relations avec sa femme parfois sous forme de dialogue, son drame en altitude, son retour auprès des siens, et la nouvelle réalité qui s’impose à lui. Un homme bon, courageux prêt à changer pour retrouver l’amour de sa famille. Son cas personnel est unique dans la littérature de l’aventure et nous éclaire de manière simple sur son parcours, sa personnalité, ses erreurs, sa volonté et ses qualités humaines. Il nous livre un passage important, me semble-t-il, pour tous ceux qui veulent comprendre l’esprit des alpinistes : « J’ai également découvert à quel point je me plaisais en compagnie des alpinistes. Ils possédaient certains traits en commun que j’admirais. Par exemple, l’alpinisme de très haute altitude engendre des douleurs physiques multiples et à peu près inévitables. Mais vous entendrez rarement les grimpeurs se plaindre. Ce sont souvent des personnalités très déterminés, qui connaissent généralement la réussite dans leur domaine professionnel, quel qu’il soit.
L’ascension de ces grosses bosses exige une bonne dose d’efforts et de maturité psychologique. Les dons naturels ne suffisent pas. Il faut apprendre la technique. Et prendre du plaisir à se retrouver dans des situations face auxquelles on ne sait pas toujours comment on réagira. C’est l’un des aspects les plus étonnants de l’alpinisme en très haute montagne. même les meilleurs ne savent jamais vraiment s’ils vont réussir. A chaque fois, vous vous remettez en question. Vous espérez que vous allez vous comportez décemment, ne pas vous effondrer, ne pas perdre courage, et donner tout ce que vous avez. » (p. 206-207)
    
4/ Cette catastrophe a fait l’objet d’un film intitulé EVEREST (Universal studios 2015) : « Inspiré d’une désastreuse tentative d’ascension de la plus haute montagne du monde, EVEREST suit deux expéditions distinctes, dirigées chacune par Rob Hall et Scott Fischer qui se retrouvent confrontées aux plus violentes tempêtes de neige que l’homme ait connues. luttant contre l’extrême sévérité des éléments, le courage des grimpeurs est mis à l’épreuve par des obstacles toujours plus difficiles à surmonter alors que leur rêve de toute une vie se transforme en un combat acharné pour leur salut. » (Synopsis du film, duréee 1h56 env.)

Le film apporte une nouvelle dimension à l’histoire grâce à son côté visuel qui nous fait entrer de plein fouet dans le contexte de la montagne sous des conditions climatiques abominables. On découvre les personnages de l’histoire selon leurs traits physiques, leur âge, leur origine..: on les voit, on essaie de les comprendre et on les reconnait sur les pentes de la montagne ou dans les camps. On vit leur colère, leur désespoir, leur soufrance, leur épuisement voire leur agonie… On s’aperçoit que la Nature est toute puissante et peut se révéler cruelle… et que l’aventure humaine aussi belle qu’elle soit peut se révéler dramatique. Pourtant, les aventures démarrent toute dans une belle disposition d’esprit pour finir normalement en éclat de joie…


Drawings : Catherine Pulleiro